Portrait de praticien

Agnès Régnier

Présentation

Agnès fait partie de l’association Soiliance et du réseau Bien-être et compagnie, lors d’une de nos dernières rencontres, nous avons été très émues par ses témoignages. L’idée est alors née de l’inviter à notre congrès afin qu’elle puisse partager son expérience. Pour vous, Agnès a bien voulu répondre à quelques unes de nos questions.

Agnès, pourquoi as-tu choisi de travailler en soins palliatifs ?

J’ai choisi de travailler en soins palliatifs après être passée de la réanimation à la psychiatrie, des soins intensifs à la gériatrie. Et puis, au cours de différentes formations dont une en soins palliatifs, j’ai découvert une nouvelle approche et, de là, ma vision du métier de soignante a changé. 

En partant du savoir, du savoir-faire, j’ai découvert le savoir-être et par la suite le savoir « devenir ». 

J’ai pris conscience que chaque personne est unique dans sa trajectoire de vie, qui évolue, change. Je m’implique avec respect et éthique en considérant la personne avec sa propre histoire et l’accompagne dans ce bout de chemin de retour à l’équilibre. Je suis infirmière, mais à ce jour je ne me considère plus comme une soignante «Soi-niante», ni comme une «infirme-hier» qui sait et qui soigne, mais comme une personne qui accompagne, en acceptant de déposer son « pouvoir » de soignante, et de là, permettre à la personne de reprendre « sa vie en main ». D’aider cette personne, à aller vers l’essentiel, à explorer ses propres ressources, je ne la vois donc plus comme une personne soignée (Soi-niée), mais comme une personne qui devient actrice de sa vie… Je m’appuie entre autre sur une philosophie qui considère la personne comme un être humain en devenir « l’êtrehumaindevenant » (la philosophie de Rosemarie Rizzo Parse)

C’est avant tout une relation d’accompagnement, en étant à l’écoute de la personne en la considérant comme unique, indivisible, vivant de paradoxe en paradoxe, et pleine de ressources. C’est voir, accepter et respecter la personne dans sa globalité et sa singularité, sans jugement de valeur, c’est l’accompagner dans un cheminement de développement spirituel dans l’objectif de lui permettre de devenir ou re-devenir actrice de sa vie.

Mais c’est aussi être dans le ressenti, par le Toucher-massage®, le toucher intuitif, toucher énergétique, tout en lui permettant de re-ssentir son corps et de laisser aller ses émotions, ses mots et ses maux… ,Le toucher en soins palliatifs est une magnifique porte d’entrée, il me permet d’aller à l’essentiel, car la personne va s’ouvrir et oser parler de sa finitude et, de là, je vais accepter d’être témoin de ce qui va se passer, de ce que la personne va vivre…

Que t’a apporté la formation de Toucher-massage® dans ton métier ?

La formation de Toucher-massage® m’a apporté une nouvelle approche vis-à-vis des personnes. Une approche humaniste ou je me rends compte que le toucher n’est pas si anodin, mais qu’au contraire il est un des sens le plus important (avec l’olfaction peut être) pour toucher l’Âme de la personne. Il peut être est libérateur et révélateur selon l’intention du masseur qui donne sans rien attendre en retour si ce n’est de un « Amour inconditionnel ». Il permet à la personne un « éveil » de ses besoins, de ces ressentis, de ces émotions…

Que t’a apporté « personnellement » cette formation de Toucher-massage® ?

Je dirais : un nouveau souffle de vie, une nouvelle vision de l‘être humain, dans ses joies, ses peines et ses faiblesses. Cette formation m’a ouvert des portes dans la communication, la relation et l’authenticité. Elle m’a permis d’entrer en lien avec l’être humain dans son « entièreté », et d’être témoin de nombreux messages déposés face à la peur de la maladie, de la souffrance, de l’approche de la mort, face à la culpabilité de l’abandon de ses enfants, famille, proche… Elle m’a permis d’être un pont avec les personnes en grande souffrance, en fin de vie et leur proche. Elle m’a permis de vivre avec la personne massée une grande tendresse… quelque chose qu’il me convient d’appeler un « Amour inconditionnel », surtout lorsque la vie s’enfuie, lors des grandes souffrances physiques ou psychologiques, lors de la peur qu’engendrent la rencontre de la mort et de l’après… Elle m’a permis d’accompagner la personne dans la globalité de son être. Enfin, elle m’a permis d’ouvrir mon cœur, d’accueillir l’Amour et de l’exprimer.

Quand une étudiante IDE ou AS te parle de la formation de son intérêt : que mets-tu en avant

L’intérêt le plus important que je mettrais en avant, concernant la pratique du Toucher-massage®, serait de pouvoir créer ou recréer le lien, d’offrir à la personne la possibilité de libérer ses émotions de toutes les façons possibles et de l’aider à se réappropriera son corps.

Et pour tes collègues, quel est l’impact de ce que tu fais, quels sont leurs retours ?

Pour mes collègues, ce qui me touche le plus, c’est qu’à leur tour elles se prennent au jeu de masser les personnes quand elles voient le résultat, c’est-à-dire le
plaisir et le confort que l’on peut apporter. Je pense par exemple aux personnes peu touchées parce qu’elles sont âgées, ou les personnes atteintes d’une maladie grave, en grande souffrance. Et puis aussi cette sérénité, cet apaisement qu’un massage doux peut procurer à une personne en fin de vie, quand les mots ont moins de poids, moins de sens que le toucher et le regard…

En conclusion Agnès, quel message souhaites-tu faire passer lors de notre prochain congrès où tu vas intervenir ?

Je raconterai par quelques beaux témoignages comment je suis amenée à vivre des moments extraordinaires durant mes accompagnements, même si il arrive que quelquefois ces moments soient douloureux car, en plus de la maladie, il y a l’histoire de vie de la personne, de sa famille et de ses proches, la plupart sont vraiment « extra-ordinaires »… voire mystérieux !…

Dis, Agnès, tu veux bien nous raconter un de tes « témoignages » :

Et bien, je veux bien partager avec vous, une histoire de vie, que j’appellerai : J’ai peur de mourir. 

Je suis appelée dans un service pour réaliser un accompagnement pour une personne de 35 ans, Mme B. Cette jeune femme a un pronostic très grave et apparemment semble l’ignorer. Elle est maman d’une petite fille handicapée de 10 ans. Divorcée, elle vit avec son ami qui s’occupe de sa fille à temps plein depuis son hospitalisation. Elle n’arrête pas de sonner, rien ne va. L’équipe se sent démunie devant cette situation si difficile : Mme B ne sait pas qu’elle va mourir, et personne n’ose lui en parler, les médecins lui ont dit mais elle ne réagit pas. Qui va s’occuper de sa fille ? Est-ce que les papiers d’adoption sont faits ?… Je viens rendre visite à Mme B. Je découvre une toute petite femme très maigre, avec un magnifique visage, perdue au fond de son lit, avec un ventre énorme et de la difficulté à respirer, symptômes dus à sa pathologie. Je me présente en lui disant que je suis en dehors des soins et, si elle le désire, je peux rester un peu vers elle, si elle en ressent le besoin. Elle est un peu surprise de ma proposition et me dit :

« Super, mais vous me proposer quoi ? »

« Et bien, si vous en avez envie, je vous propose un massage de bien-être »

« Oh mon dieu, je ne me suis jamais fait masser, depuis le temps que je voulais le faire, mais j’avais trop de travail et je repoussais sans arrêt, je ne prenais jamais soin de moi avec ma petite, je n’avais pas le temps, et vous feriez ça pour moi ? C’est d’accord, je vous dois combien pour ce massage ? »

« Et bien c’est gratuit »,

« Oh mais quelle chance j’ai, merci infiniment… ».

« Avant de vous masser, je voulais savoir comment maintenant vous vous sentez ? Et dites-moi vous avez des enfants ? »

« Et bien Agnès, j’ai une petite fille de 10 ans et c’est mon ami qui s’en occupe. Mais quand je ne serai plus là, c’est lui qui va l’élever, on vient de terminer les papiers, il l’a reconnue, tout est en ordre ».

En me regardant les yeux dans les yeux, elle me dit :

« En ce qui concerne mon état, je me sens moyennement bien aujourd’hui, j’ai des nausées et n’arrive plus à m’alimenter, vous savez, j’ai un cancer et je vais bientôt mourir… ».

Je valide ce qu’elle me dit en reprenant sa phrase :

« Vous allez bientôt mourir ? »,

« Oui, vous savez ma maladie est très grave… »,

« Et c’est comment, pour vous, le fait que vous allez bientôt mourir ? »

« Et bien la mort ne me fait pas peur, j’ai travaillé par rapport à cela, bien sûr ce qui est difficile va être de laisser ma petite fille et les gens que j’aime, mais je suis prête par rapport à cela, au mieux que je le peux, par soumission par contre je refuse de mourir 

« Vous refusez de mourir ? »,

« Oui je n’ai pas peur de la mort, mais j’ai peur de ce qu’il y a après la mort car je ne crois pas à une autre vie après la mort et pour moi c’est le vide, le rien d’après, et c’est pourquoi je refuse de mourir, j’ai peur du noir, du vide ».

Je lis de la panique dans son regard face à cette peur. Pendant un moment on s’est regardé les yeux dans les yeux, quoi lui répondre, entendre ce qu’elle vit dans le moment, être là à son rythme, respecter ses croyances, et un dialogue a lieu dans le silence, puis Mme me dit :

« Bon, on va le faire ce massage ? »

J’installe Mme B, prépare mon huile tiède, lui explique comment le soin va se passer, et qu’elle peut à tout moment me dire d’arrêter si elle en ressent le besoin, si elle est inconfortable ou autre… Je m’adapte à sa position, je n’attends rien du massage, je laisse se faire ce qui doit se faire dans le lâcher prise, juste être dans le don de donner un moment de plaisir, de partage. Mme B est installée sur le dos, position demi assise, c’est la seule position possible pour elle. Je commence par lui masser les pieds qui sont glacés, ils se réchauffent petit à petit, puis j’arrive aux jambes, sa peau est très sèche, l’huile tiède glisse et hydrate cette peau si fatiguée, si déshydratée.

Mme B parle et bouge sans arrêt au début, puis peu à peu, je la sens qui commence à se détendre, à se lâcher, elle ferme les yeux. Je glisse doucement sur son ventre, sur son thorax, mes mains redescendent sur ses bras, ses mains, remontent et redescendent le long du thorax, ceci comme une vague, un balancement, comme une danse, comme un bercement que je vis également, j’ai l’impression que nos deux corps ne font plus qu’un, je suis dans son rythme, je me balance puis j’arrive au niveau de son ventre « lieu des émotions ». Celui-ci est très proéminent, tellement important que couchée on ne voit plus sa petite tête et là, je sens que je dois allez dessus tout doucement, car très fragile, tellement tendu qu’on a l’impression qu’il va exploser. Je masse de façon très légère, je sens des mouvements, sous mes mains, et je reste par petites glissades, en enveloppant tout le ventre. Puis je m’arrête un moment, les mains immobiles et tout à coup Mme B se met à sangloter de tous ses membres, de grosses larmes jaillissent de son visage comme si on avait ouvert un robinet, elle ne s’arrêtait plus de pleurer, je lui demande si elle veut que j’arrête le massage, elle me dit :

« oh non continuez… ».

Je reste pendant 15 minutes sur ce ventre qui se détend, qui se relâche sous mes mains, et Mme B continue de verser ses larmes pendant tout ce temps, sans interruption toujours les yeux fermés. Au bout d’un moment, je masse à nouveau ses jambes, ses pieds puis doucement je retire les mains. Dix minutes se passent encore, toujours Mme B pleure, puis elle ouvre les yeux, s’arrête de pleurer et me fixe dans les yeux.

« Comment vous sentez-vous ? »

« Je me sens très bien » me dit-elle avec un magnifique sourire, et en s’essuyant le visage.

« Et bien je ne sais pas ce qui s’est passé mais c’était très émouvant de voir toutes ces émotions », lui dis-je.

Mme B me regarde et me dit :

« Vous savez Agnès, au moment où vous avez posé vos mains sur mon ventre, je me suis vue au-dessus de mon lit, avec vous à mes côtés, et puis j’ai été comme appelée plus loin, j’ai tourné ma tête et je me suis trouvée dans un lieu inconnu, c’était une atmosphère particulière comme si j’étais entourée de brouillard, et tout d’un coup j’ai senti quelque chose, quelqu’un, je ne sais pas, m’envelopper dans tout mon être, j’étais comme dans un cocon de douceur, de chaleur, et à ce moment j’ai ressenti, comment dire, c’est difficile à expliquer, de l’Amour mais pas l’amour d’une mère envers son enfant ou envers les gens qu’on aime, c’était tellement puissant que je pensais que mon cœur allait exploser de joie. Je me sentais aimée comme jamais je ne l’aurais imaginé, je ne peux même pas décrire l’émotion que j’ai vécue avec mes mots. Et lorsque j’ai pleuré Agnès en fait c’était des larmes de joie, j’étais heureuse, vivante. Je ne voulais plus partir tellement j’étais bien… Puis, au bout d’un moment, j’ai entendu comme un murmure, mais je ne voyais personne, et j’ai entendu ces mots : on me disait qu’il fallait que je reparte, que ce n’était pas le moment encore pour moi de rester, mais que je devais avoir confiance car lorsque je mourrai, c’est ici que je reviendrai, et qu’on m’attendrait… Et maintenant Agnès vous savez quoi ? Et bien je suis prête à mourir car je sais ce qu’il y a après la mort, et je n’ai plus peur de mourir, j’accepte. »

Je la regarde dans les yeux remplis d’émotions et de larmes, aucun mot ne sort juste nos regards, et dans le silence on s’est dit au revoir… Pendant deux jours Mme B n’a pratiquement pas sonné, elle était calme et apaisée. Puis, elle est décédée « sans bruit », avec sérénité d’après l’équipe de soins.