Portrait de praticien

Carole Matassoni

Présentation

Carole Matassoni

Dans notre série « Portrait de praticiens », Sandrine Hontarrède a voulu nous présenter le parcours et l’univers de Carole Matassoni, comme elle formatrice IFJS. Toutes deux sont infirmières, avec comme univers de prédilection les soins palliatifs, elles partagent leur expérience de terrain, lors des stages ou modules thématiques autour de la fin de vie. Carole a donc accepté de répondre au jeu du portrait sous forme de dialogue.

Sandrine : En quelques mots Carole, présente-nous ton univers et le cadre de tes activités aujourd’hui.

Carole : Infirmière de métier, je suis depuis 10 ans Praticienne de massage bien-être, installée dans ma ville de Gap, dans les Hautes-Alpes. Formatrice en Toucher-massage® depuis 7 ans, je forme au Toucher-massage® les soignants dans les hôpitaux de ma région en PACA et Sud Rhône Alpes, ainsi que les étudiants en IFSI et IFAS. J’ai exercé pendant 15 ans le métier d’infirmière notamment en gériatrie, en soins palliatifs et dans le monde du handicap moteur. Forte de mes différentes compétences professionnelles, j’ai eu la possibilité de multiplier les expériences comme d’assurer une vacation d’un jour par semaine au sein d’une équipe bien-être dans un centre hospitalier de la région, de participer régulièrement à des actions auprès de populations vulnérables, d’associations de parents-enfant, ou d’autres actions ponctuelles visant à défendre le massage à portée de tous.

Aujourd’hui, j’interviens régulièrement en prestation massage auprès de patients suivis par l’équipe mobile de soins palliatifs (hôpital à domicile), à raison de 3 séances renouvelables. Ces séances sont prises en charge par l’Agence Régionale de Santé (ARS). J’ai également la chance de suivre sur leur lieu de vie (EHPAD, long séjour, FAM), des personnes âgées ou à mobilité réduite atteintes de maladies neurologiques dégénératives. Enfin, j’anime des ateliers de compagnonnage sur le pôle enfant APF où sont accueillis 30 enfants polyhandicapés.

Parle-nous des soins palliatifs, à quel moment as-tu ressenti le besoin d’intégrer cet univers du soin ?

A 25 ans, je travaillais en gériatrie, j’ai vite compris que le toucher bienveillant dans le soin m’était indispensable dans mon métier d’infirmière. J’ai toujours privilégié la communication non-verbale et j’aimais avoir une réflexion plus globale dans la prise en soins des personnes âgées. Lorsque j’ai eu la chance d’intégrer l’équipe mobile de soins palliatifs de mon département, j’ai passé mon DU de soins palliatifs. En UMSP mon travail avait une mission de clinique auprès des patients, leur entourage et les soignants, une mission de formation et aussi de recherche. J’ai effectué un travail de recherche sur les missions de l’infirmier avec la mise en évidence de la place du corps et du toucher dans la relation de soins. C’est bien à ce moment là de ma vie professionnelle que j’ai pris conscience de la nécessité de pouvoir offrir des soins pour détendre, apaiser la personne qui en exprimait le besoin et d’accéder à une formation de Toucher-massage.

Quelles expériences as-tu de la pratique du Toucher-massage® en soins palliatifs ?

Une fois formée, dans le cadre de l’EMSP, j’ai mis en place des séances de détente auprès des patients hospitalisés ou en consultations externes. J’ai eu moult fois, la possibilité d’observer combien c’est un outil merveilleux pour le patient. La relation de confiance et le lâcher-prise intimement liés à cette pratique autorisent le patient à parler, à pleurer, à se taire, à profiter du moment présent, à s’éveiller ou s’endormir. J’ai vécu toutes sortes de situations et d’histoires touchantes, émouvantes.

Peux-tu nous en citer quelques-unes ?

Oui, je pense par exemple, à ce monsieur de 55 ans, à qui on devait faire la réfection d’un pansement au niveau du sternum. Ce soin était compliqué parce qu’extrêmement douloureux. Il y avait un protocole de MEOPA mis en place pour diminuer la douleur (mélange O2 et protoxyde d’azote). Ce jour là, il a demandé à recevoir une séance de Toucher-massage à la place du protocole habituel. Durant tout le temps du soin, j’ai donc massé les différentes zones accessibles en dehors du champ stérile, pendant que ma collègue infirmière accomplissait le soin. A l’issue des 45 minutes de soins, il nous a dit combien avoir apprécié de vivre ce moment dans ces conditions là. Il s’était senti « sur la même planète » que nous, il avait eu moins mal (ENS 4/10) et il a pu se concentrer sur les sensations agréables apportées par mes mains. Ma collègue quant à elle m’a confié qu’elle avait apprécié de pratiquer ce soin, dans ces conditions, avec un patient calme et ma présence qui lui a permis de se sentir également plus sereine et moins seule. Et puis bien d’autres témoignages encore, tout aussi émouvant comme la fin de vie de cet enfant de 11 ans, qui sous les mains de sa maman et les miennes, puisait une force incroyable et trouvait les mots justes et forts pour rassurer sa mère et la faire sourire malgré la tristesse de la situation. La douceur des moments partagés jusqu’à son départ, ont pu atténuer chez la maman le sentiment de colère.

J’ai ainsi pu voir combien le Toucher-massage déliait les corps, combien cet accompagnement singulier impactait sur le physique et le moral : « c’est bon de se ressentir ». Lorsque la parole n’est plus, le soignant se doit de lire, sentir, écouter le corps, ses raideurs, ses douleurs, de reconnaître l’apaisement, d’être attentif à la respiration, à son amplitude, d’être juste avec l’autre, de se sentir dans la dimension humaine du soin… Cette pratique est une façon d’accéder à ce fameux « savoir être ».

Justement pour toi soignante, qu’est-ce que cette pratique a changé ?

Une forte envie de rajouter encore plus de bienveillance dans mon métier et une vraie foi en la pratique des soins complémentaires pour lutter contre la douleur, l’angoisse, l’insomnie et pour aborder les situations de soins complexes comme le refus de soins. C’est une vraie satisfaction que de travailler avec cette intention bienveillante, ces gestes enveloppants, mais aussi dans le respect de ses valeurs, ainsi que le respect de l’autre dans son identité et sa singularité. Le Toucher-massage a ainsi trouvé tout naturellement sa place dans mes actes de soins au quotidien, pas besoin de temps supplémentaires, ce sont tous ces petits gestes, ces petites attentions qui changent tout.

Tu as parlé de la notion de savoir être, quel apprentissage faut-il pour cela ?

Et bien Sandrine justement, je m’interroge sur cette fameuse notion, qui doit d’ailleurs être plus justement identifiée comme un savoir-faire relationnel. Il s’agit d’une posture professionnelle où tous nos sens sont en alerte, où on se sent en congruence dans la relation avec nous et avec l’autre. Cette posture doit-elle faire l’objet d’un apprentissage ou bien est-elle déjà présente en chacun de nous ? Vaste question. La formation en Toucher-massage fait partie des moments où j’ai pu m’interroger sur mes propres croyances, mes représentations et mes limites. Vouloir prendre soin de l’autre, essayer de comprendre ses besoins, de comprendre ce qu’il vit, interroge la subjectivité de la relation et c’est bien de cette subjectivité dont il est question lors de ces rencontres singulières et uniques que sont les gestes de toucher et de bien-être. En soins palliatifs, en fin de vie, les patients, les familles, les proches traversent différentes étapes… un travail de renoncement, de deuil. Toutes ces phases, ces mouvements psychiques peuvent être accompagnés par un toucher empreint de présence, d’humilité, de tendresse et même parfois de courage. La lenteur, la présence sont au rendez-vous, pour une rencontre au cœur de l’humain.

 

Quel est ton investissement aujourd’hui en soins palliatifs ?

A ce jour, je pratique des suivis individuels de personnes elle-mêmes suivies par l’équipe de soins palliatifs à domicile ou à l’hôpital. Il m’arrive même d’en recevoir dans mon cabinet de massage, pour les personnes qui peuvent encore se déplacer. Je construis chaque séance de façon différente en fonction de leur état psychologique ou physique. Rien n’est écrit d’avance, parfois les échanges verbaux sont denses mais la plupart du temps, le silence est roi. Les émotions sont accueillies (je pense ici à Michelle qui me demandait si ici on a le droit de pleurer). Il arrive que les proches soient présents, j’ai eu la chance de masser en présence des familles ou d’amis, ce qui rajoute de l’intensité au moment présent. Il est important d’ailleurs de percevoir que certains instants, ne nous « appartiennent plus », mais ont juste besoin d’être vécu en famille, le soignant doit apprendre à se retirer une fois qu’il a initié ce toucher.