Portrait de praticien

Armelle Simon

Présentation

Le troisième portrait de notre série est consacré à une professionnelle assez époustouflante. Au détour de chacune de nos rencontres, son dynamisme, sa passion, son ambition peut être aussi, n’ont jamais cessé de nous impressionner. L’année 2012 aura été en quelque sorte l’année de la consécration, un article dans la Revue de l’Infirmière, des travaux récompensés, une reconnaissance de son institution à laquelle il faut ajouter une émission télévisée de grande écoute, Armelle mérite son Trophée de l’infirmière 2012. Rien ne lui résiste et surtout pas nous !

Nous avions envie de partager avec vous un peu de son histoire et de son quotidien. Nous lui souhaitons de conserver le plus longtemps possible son sourire, sa gentillesse et son insatiable envie d’aller de l’avant, de faire bouger des montagnes dans ce milieu pesant et fermé que sait être le monde de la santé et plus spécifiquement encore dans le cadre de ce joli métier : celui d’être soignant

Alors Armelle, raconte-nous. Qui es-tu ? D’où viens tu ?

Je suis infirmière depuis 11 ans.
J’ai travaillé dans différents secteurs de soins, j’occupe depuis 4 ans un poste à temps complet dédié exclusivement à la sophrologie et au Toucher-massage®. Je fais partie de l’équipe mobile de soins de support et j’interviens plus particulièrement dans les services d’hématologie, notamment en unité stérile, en oncologie et en unité de soins palliatifs. Ayant un exercice transversal, je peux également me rendre dans d’autres services en fonction des appels des soignants et des besoins de certains patients en situation de souffrance.

Je l’ai dit, tu t’investis beaucoup dans ta mission, peux-tu nous expliquer d’où te vient cette passion ?

C’est une longue histoire en fait, et je ne sais d’ailleurs pas vraiment répondre à cette question. Mais je pense que le début se loge au cœur de mon enfance. Dès mon plus jeune âge je me souviens avoir eu une sorte de fringale de la proximité physique, il me fallait être blottie, touchée, bercée pour me sentir en sécurité. J’ai encore les souvenirs très nets de l’apaisement que je pouvais ressentir d’un léger bercement, d’une main sur mes cheveux, d’un doux frottement pour apaiser une douleur, des battements du cœur de mon papa quand j’étais contre lui… D’ailleurs lorsque j’ai eu mon mémoire de fin de formation en Toucher-massage à écrire, je n’ai pas eu beaucoup à réfléchir pour répondre à la première question : quel est votre premier souvenir de massage ?… Il me fallait parler de mon père et des mains de mon père. Des mains chaudes, agréables, sécurisantes. Mon père n’avait pas appris le massage, il l’aimait et le pratiquait « comme ça » par instinct et c’était délicieux. C’est mon père qui le premier, dès mon plus jeune âge, vers 5 ou 6 ans, m’a initié au massage, c’est lui qui m’a donné « le goût » et qui m’a fait sentir les tensions musculaires sur le dos de ma sœur ou de ma mère. Il y a quelque chose de moi, quelque chose de fondateur, qui s’est construit à ce moment là. J’en ai vraiment conscience.

Parle-nous de ton parcours.

A la sortie du bac, je souhaitais rentrer dans une école de kinésithérapie, mais je suis une « littéraire » et je ne pouvais donc prétendre au concours. Je me suis donc tournée vers le métier d’infirmière, un métier que j’ai découvert et que j’ai tout de suite aimé. Et puis, c’était pour moi l’opportunité de toucher, de masser, de faire du bien. Dès mes études et de façon tout à fait intuitive, j’ai laissé mes mains glisser sur un dos pendant la toilette, s’essayer à dénouer une tension douloureuse, enfin tous ces petits gestes qui au quotidien ont tellement d’importance pour la personne hospitalisée, séparée des siens et de ses repères de vie. Ma pratique s’est donc mise en place d’une façon empirique. J’obtenais déjà des résultats tout à fait significatifs chez les personnes ayant des problèmes de sommeil ou d’anxiété, chez les personnes en chimio, l’état de relaxation obtenu diminuait notablement les nausées et puis dans le cas de douleurs chroniques, les résultats étaient aussi tout à fait surprenants. Quand, une fois en poste, j’ai voulu me former pour valider ma pratique, on m’a dans un premier temps refusé la formation en Toucher-massage, par contre j’ai obtenu sans problème une formation en sophrologie. Je me suis
donc servie de cette technique pour enrichir mes acquis en relation d’aide. L’exercice des deux techniques massage et sophrologie s’articulent d’ailleurs très bien.

Puis le nouveau référentiel infirmier et les nouvelles directives du ministère de la santé ont encouragé les infirmières à faire de la recherche. C’était très nouveau, l’hôpital sollicitait les infirmières qui avaient envie de s’investir dans la recherche. J’ai profité de cette opportunité pour mettre en place un projet. Et je me suis jetée corps et âme dans cette aventure.

Le projet de recherche intitulé « TANDHEMS : le Toucher-massage contre l’ANxiété : Développement en HEMatologie Stérile » était né. Il s’agissait pour moi de prouver que pour ces personnes, le fait d’être toucher autrement que par des soins invasifs était très important. Heureusement qu’en choisissant d’être à l’initiative d’un PHRIP (Programme Hospitalier de Recherche Infirmière et Paramédicale), je ne savais pas à quoi je m’attendais…Cela a été un énorme travail, vraiment, plusieurs centaines d’heures, alors de la formation d’infirmière ne nous a pas formés à la recherche. J’ai été aidée bien sûr par une méthodologiste spécialiste de la recherche en santé, par un professeur d’université ainsi que par une statisticienne. Soiliance est venue à la rescousse, toi, Jacqueline qui a validé le protocole « MAM » et Fatima Medjahed pour une relecture du dossier de recherche. Mais quel travail titanesque.

Je ne regrette rien, cela à été extrêmement enrichissant. Ce travail a été bouclé en janvier 2011, en juin 2011, nous avons appris que ce projet n’était pas retenu par le Ministère de la santé, l’absence de groupe témoin a été souligné comme un élément négatif. C’est un autre projet Toucher-massage qui a été choisi, celui présenté par l’équipe bien-être de l’Hôpital René Muret Bigottini, un hôpital qui fait partie de l’AP-HP. D’ailleurs, je crois que Soiliance a beaucoup œuvré dans l’élaboration de ce projet. J’étais déçue, mais le projet a tout de même suscité l’intérêt du jury et je me suis dit que j’allais le retravailler pour pouvoir le représenter l’année suivante. En mai 2012, j’ai écrit un article sur ce projet3.

Le fait que ce PHRIP ne soit pas retenu m’a permis de terminer ma formation de praticienne en massage bien-être, financée par l’institution. Une façon, en quelque sorte, de récompenser mon implication. Entre temps, j’ai été à l’initiative d’une permanence massage pour le personnel. Deux mardis par mois, toute la journée, tous les professionnels (infirmiers, aides-soignants, médecins, cadres de santé, psychologues, secrétaires, etc.) disposent d’une séance de 20 minutes sur leur temps de travail pour se ressourcer. Les rendez-vous sont gérés par un secrétariat.

Au départ, je pratiquais des massages assis, puis sur demande j’ai commencé à proposer du massage sectoriel à l’huile. Aujourd’hui je pratique aussi bien l’un que l’autre. En 2012, ce sont plus de 200 prestations massage qui ont été effectuées. Dès lors, j’ai participé à de nombreuses instances au sein de l’hôpital : journées CLUD, commission des soins, Cellule qualité, réunion avec les usagers etc., pour présenter mon activité et ainsi diffuser les informations dans tout l’hôpital, notamment par l’intermédiaire des cadres de santé. ,Ce fut un travail de tous les instants mais j’ai été récompensée à différents niveaux. Un tiers temps infirmier pour pérenniser ce projet est envisagé dans le cadre de la prévention des risques psycho-sociaux du personnel. A cette même époque, j’ai reçu le Trophée de l’infirmière 2012 pour la création de l’Espace Ressources en oncologie médicale. Il s’agissait d’aménager un espace dédié aux soins de support au sein même d’un service avec notamment tout le matériel de massage (table de massage, pierres chaudes, musiques, huiles, lampes, diffuseur, serviettes de toilettes de couleur, tapis, canapé et fauteuils cosy, etc.) Et puis j’ai été choisie pour témoigner dans l’émission de France 5. Enfin l’hôpital m’a soutenue pour que je dépose à nouveau un PHRIP.

Nous savons que tu pratiques spécifiquement dans l’unité stérile d’hématologie. Peux-tu nous décrire en quoi consiste la prise en charge d’un patient ?

En secteur protégé d’hématologie stérile, tous les sens des patients sont mis à mal et en particulier celui du toucher. Ces patients, si fragiles d’un point de vue immunitaire (ils sont en aplasie profonde), se retrouvent brutalement précipités en secteur stérile pour recevoir un traitement lourd de chimiothérapie qui durera plusieurs semaines, sans même qu’ils puissent sortir de leur chambre. Les contacts physiques avec les proches sont interdits et ceux avec les soignants sont réduits au minimum, c’est-à-dire aux soins techniques, malheureusement souvent invasifs… C’est suite à ce constat que le toucher-massage me semblait primordial dans ce contexte si difficile. Avec toutes les précautions relatives à une hygiène stricte, un soin agréable pour le patient devenait possible… Les séances de toucher-massage sont adaptées en fonctionsdes besoins et demandes spécifiques de chaque patient. Elles se pratiquent allongé ou assis, habillé ou directement sur la peau, à l’huile.

Dans les services de soins, dans quels cas t’appelle-t on ?

Dans les situations d’anxiété, de douleur, lors de la préparation d’examen ou encore lors de gestes invasifs. J’ai créé de petites cartes qui tiennent lieu de supports d’infos, je suis aujourd’hui de plus en plus sollicitée.

Quelle place occupe aujourd’hui la pratique du Toucher- massage dans ton activité ?

Je dirais 75 %.
Je rejoins tout à fait les deux praticiens qui ont déjà parlé de leur expérience, l’intérêt majeur des prestations toucher-massage vient du fait qu’elles permettent une prise en charge dans une dimension globale de la personne, somatique et psychologique. Le toucher va à l’essentiel, c’est ce que j’expérimente tous les jours.

Parmi toutes ces expériences, quel est ton plus beau souvenir ?

J’en ai tellement… ! Le regard d’une personne en fin de vie, son apaisement visible, son sourire, le fait de la sentir sereine. Mais aussi les moments intenses avec les proches des patients…

Quels sont tes rapports avec les familles ?

Je fais souvent des massages 4 mains, j’invite la famille, les proches à masser avec moi. Je masse également les familles en souffrance. Je le fais quand, dans la relation, je sens que cela peut être juste et adapté.

Allez Armelle, dis-nous, c’est quoi ta recette magique, pour avoir cette belle énergie ?

Je ne sais pas répondre… J’aime ce que je fais… Et puis j’ai l’impression d’avoir un
métier vraiment riche et intense. Ce qui me porte avant tout, ce sont les patients.

Que te souhaites-tu maintenant ?

De continuer, d’encourager mes collègues à se former, et puis qui sait, peut-être un jour de faire partie de l’équipe IFJS ? – Rire !

Qu’aurais tu envie de dire aux soignants qui te lisent ?

Quelque chose comme : Garder le cap ! Oser croire en soi, en ce qu’on fait, oser défendre ses valeurs… Quand on sait où on voudrait aller, on finit par arriver à destination. Mon conseil : ne pas vouloir passer en force, patience et détermination sont les maîtres mots. Et puis garder à l’esprit que même dans une main vide, il
y a beaucoup.

Merci Armelle, nous te souhaitons une très belle continuation !