Portrait de praticien

Françoise Debrie

Présentation

Je travaille depuis plus de 14 ans à la Consultation douleur du Centre hospitalier de Beauvais. Ce poste a été créé avec mon arrivée ; nous étions peu d’infirmier(e)s ressource douleur à cette époque (1998). Le 1er Plan Douleur 1998-2000 a permis de développer alors la présence paramédicale dans les structures de prise en charge de la douleur chronique.
D’origine italienne, je n’ai jamais eu aucune difficulté pour utiliser le toucher, je le faisais de façon intuitive et naturelle pour communiquer et pour soulager. Je le pratiquais empiriquement, puis j’ai bénéficié d’une formation de base dans le cadre de la formation continue qui m’ouvrait à d’autres découvertes.
Ce sont aussi mes souvenirs d’enfance, ces moments à la fois doux, forts et tendres, ces temps d’échanges et de caresses avec ma grand-mère souffrante, qui m’ont confortée et mis en confiance avec ce que mes mains étaient capables de donner.

Alors pourquoi ce choix de suivre une formation Toucher-massage ?

Nous avons des activités inhérentes à notre spécificité en tant qu’infirmier(e) ressource douleur, il est souhaitable que nos compétences soient validées. J’utilisais le toucher de façon empirique. Pour légitimer, sécuriser et éviter toute problématique ou confusion avec d’autres acteurs de soin, la certification était pour moi nécessaire à la reconnaissance de mes compétences, elle me permettait d’enrichir mon savoir-faire indispensable par un enseignement tout à fait adapté aux besoins des personnes soignées, donnant « une valeur ajoutée différente » aux approches non médicamenteuses, d’autant que la pratique du massage était considérée avec de nombreux a priori (réservée aux kinésithérapeutes, exercice illégal dépassant le rôle soignant, pratique sectaire, connotation sexuelle…).
Pour cette pratique choisie, j’ai effectivement eu à m’obstiner, à être tenace, à informer, à mettre en confiance, à convaincre, à prouver ; ma formation m’a beaucoup aidée en cela. Par ailleurs, je tiens à préciser que je n’ai jamais eu aucun problème avec les kinésithérapeutes de l’établissement, l’un d’entre eux m’avait demandé des précisions quant à ma formation afin d’intégrer l’IFJS, il est, depuis, certifié Praticien de massage bien-être. Un autre a dirigé une collègue vers moi…
Je travaille depuis 32 ans au Centre Hospitalier de Beauvais. Depuis des années, j’ai pu prendre soin aussi de collègues, toute fonction confondue, qui en éprouvaient le besoin pour soulager au mieux leurs tensions aux multiples dimensions et leur permettre de « se poser »… pour mieux repartir. Je trouve évident qu’un soignant prenne soin d’un autre soignant, et non pas seulement des patients, sinon, c’est la négation totale de notre fonction, de notre être et notre faire !!! Pour ne pas être des « soi-niants ou des soi-niés »…
Je suis ravie de constater l’intérêt grandissant de nombreuses collègues soignantes (ou pas) me sollicitant pour me demander conseil, pour être confortées dans leur intention d’oser pratiquer ce prendre soin (pour beaucoup, cette intention couvait depuis longtemps). La reconnaissance obtenue, je la dois à une hiérarchie facilitatrice et compréhensive, tant au niveau des cadres que de la Direction des soins (l’obtention d’une pièce, des outils nécessaires, leurs appuis et leur soutien lors des difficultés rencontrées…), l’ouverture d’esprit des différents médecins au sein de la consultation (mais aussi dans des unités de soins) qui m’ont permis de développer ce prendre soin à part entière, me faisant confiance et me laissant « faire mes preuves » mais aussi et surtout les personnes soignées qui par leur ressenti exprimé, les bénéfices et les bienfaits obtenus, non négligeables dans un parcours douloureux aux prises en charge complexes, n’ont fait que renforcer ma volonté de développer ma pratique et surmonter chaque obstacle.
J’ai à coeur d’échanger, de partager, de sensibiliser, d’informer, tant les bénéfices pour tout soignant (paramédical ou médical) sont « immenses », facilitateurs d’une prise en charge globale. J’ai l’honneur depuis quelques années d’être sollicitée pour communiquer ma pratique dans le domaine de la douleur (mes collègues infirmières de la Consultation Douleur d’Amiens ainsi que le Dr SERRA, médecin psychiatre, algologue, responsable de cette consultation, en ont été les instigateurs), au sein de l’Association de Lutte contre la Douleur Amiens Picardie (ALDAP) organisatrice de colloques Douleur, dans le cadre de rencontres spécifiques, d’Inter-cluds, de journées thématiques douleur, d’un congrès du Toucher-Massage (!), sans compter mes interventions au sein du centre hospitalier, en formation continue et lors de réunions du CLUD. Je partage mes connaissances, les résultats d’études présentées au CNRD, à la SFETD témoignant du développement de la recherche donc de sa reconnaissance (cf. « L’évaluation du toucher comme moyen de prévention de la douleur provoquée par l’ablation du drain de redon après prothèse de hanche » – groupe hospitalier St-Joseph à Paris ; « Evaluation de l’impact du toucher dans les soins » (PHRC régional en soins infirmiers – 2003 Clermont-Ferrand ; « Massage de la main chez la personne âgée atteinte de douleurs ostéo-articulaires » – Chauny). J’avais écrit un article dans le journal des professionnels des consultations douleur de Picardie « Prendre soin par le T-M, autre réponse face à la douleur, face à la souffrance ».
Et « suprême récompense »… l’intégration du Toucher-massage dans l’enseignement du DIU Douleur / Faculté de médecine d’Amiens, en tant que traitement non médicamenteux, pour laquelle j’ai eu l’honneur d’intervenir en décembre 2012. Merci encore mille fois au Dr SERRA et son équipe !
Cet intérêt et cette attention grandissants, je ne peux que m’en réjouir.
La CETD de Beauvais a initié depuis de nombreuses années cette offre de soin, les rencontres au fil de mes interventions ont suscité des envies pour se former et développer le Toucher-massage dans de nombreux secteurs d’activité ; j’ai eu notamment le plaisir d’être rejointe par ma collègue de la CETD de Noyon (Oise).
Je ne regrette donc pas d’avoir persévéré en dépit des difficultés rencontrées… Cela vaut vraiment le coup !!!

Dans le cadre de cette pratique, quels sont les pathologies et les symptômes pour lesquels le Toucher-massage te semble le plus efficace ?

Au sein de notre consultation, nous prenons en charge les douleurs chroniques, toute étiologie confondue.
La plupart des personnes qui me sont adressées souffrent de syndromes poly-algiques diffus (type fibromyalgie), de douleurs d’ordre rhumatologiques (rachialgies chroniques), de pathologies neurologiques, l’objectif étant d’adoucir les tensions corporelles ; je peux aussi prendre soin de personnes en fin de vie… Je compose aussi avec l’état du moment (rien n’empêche une personne souffrant d’une dorsalgie d’avoir une migraine au 1er plan, alors j’adapte mon soin…).
Le massage aide à une prise de conscience des répercussions de l’anxiété, du stress, de l’angoisse sur la perception des douleurs, sur le corps. Le ressenti de zones de tensions lors du massage, pour certaines non perçues, met en évidence ce que le corps a imprimé depuis un moment, voire des années, cette cuirasse très pesante ! Pour bon nombre, la chronicité des douleurs met à jour l’impact d’une souffrance rentrée, d’une histoire de vie traumatisante n’ayant pu être exprimée – « Quand le silence des mots réveille la violence des maux » – Jacques SALOMÉ.
Un travail psychothérapeutique s’avère alors nécessaire si l’on souhaite un résultat significatif dans la prise en charge globale du patient. Certains refusent dans un premier temps cette démarche se méprenant sur l’intention : «Un psy, c’est pour les fous ! Moi, j’ai mal dans mon corps, ce n’est pas dans ma tête ! Je ne suis pas un simulateur…», etc. Face à ces difficultés, le massage se révèle être un bon médiateur. D’abord pour induire un sentiment de confiance, de sécurité permettant la détente, le lâcher prise, l’accès à la relation (importance de la relation d’aide, le toucher verbal étant aussi essentiel que le toucher physique). Exprimer et partager leurs émotions leur apportent un sentiment réconfortant de compréhension, de reconnaissance et de soutien les rendant plus ouverts, plus réceptifs. La démarche d’un travail sur soi peut être alors plus facile à entreprendre, de même la compréhension de leur prise en charge dans leur unité corps-esprit. Il aide aussi les personnes à supporter, à surmonter l’aspect bousculant, perturbant d’un suivi psychothérapique.

Peux-tu nous dire, en quelques mots, comment se passe un premier rendez-vous ?

Le premier rendez-vous est une prise de contact, un temps à la fois d’entretien pour informer de ma pratique, des objectifs thérapeutiques, d’une mise au point clinique (sur toutes les dimensions de la douleur) et des attentes de la personne. Le choix du massage est découlera.
Des personnes peuvent être méfiantes, parce qu’ils n’ont aucune idée de ce qu’un massage bien-être peut leur apporter. Ils peuvent même avoir peur de cette prestation, ayant des souvenirs de massages aux effets douloureux parce que trop techniques, inadaptés, effectués sans suffisamment d’attention.
D’autres ont un rapport au toucher quasi phobique, résultant d’une biographie traumatique (violences, agressions… subies) ou d’actes de soins invasifs douloureux (douloureuse mémoire, à « fleur de peau »).
Ce premier entretien est donc indispensable pour leur expliquer cette approche thérapeutique et les mettre en confiance, les apprivoiser. Je leur propose alors un massage de découverte (souvent le dos aux huiles relaxantes) pour ressentir… et je n’étonne personne en disant qu’elles reviennent en deuxième semaine !!!
Rien n’est simple cependant dans le cadre de la douleur chronique. Je peux me sentir en difficultés et douter… mais ce questionnement est salutaire pour progresser !
Je n’oublierai jamais Franciane, âgée de 58 ans, atteinte de thromboses étagées artérielles diffuses dans un contexte d’insuffisance rénale terminale dialysée, ayant subi des amputations itératives (mi-cuisse gauche, trans-tibiale droite, 2 doigts main gauche, 2,5 doigts main droite).
Notre consultation avait été sollicitée, dans un premier temps, pour traiter les douleurs post amputation (MI droit et douleurs post « multi-décapages et amputations phalangiennes » au niveau de certains doigts). Dans un deuxième temps j’étais appelée par l’équipe soignante afin de prendre soin de Franciane en grande souffrance morale majorée par ses douleurs physiques au retour d’une énième amputation. Ses projets étaient anéantis ; elle avait loué un appartement, adapté au premier handicap (appareillage du MI gauche) mais non à un déplacement en fauteuil roulant, elle pensait ne pas pouvoir y habiter ; elle était à bout, usée de toutes ces souffrances, de l’évolution de sa maladie et de ses conséquences, souffrait de sa dépendance, s’étant toujours «débrouillée seule», dépendance accentuée lors des nombreuses périodes post-opératoires après décapages des nécroses au niveau des doigts (pansements enfermant alors complètement les mains !) et souffrait de ce qu’était devenu son corps qu’elle détestait. Au plus profond de son désespoir et de sa souffrance, elle avait demandé à plusieurs reprises une euthanasie.
Le massage au niveau du dos, de sa nuque, quasi quotidien, s’est révélé alors d’une grande aide ; d’abord pour apporter des sensations corporelles agréables, essentielles, compte tenu de la situation (douceur, détente, bien être, apaisement), elle dormait pendant quelques heures après le massage, lui permettant de récupérer de nuits difficiles. La détente engendrée et la relation d’aide associée lui permettaient aussi de verbaliser ce qu’elle avait sur le coeur facilitant aussi la prise en charge psychologique parallèle. Et lorsqu’elle se murait dans son silence et sa souffrance, le massage était un maintien de notre relation dans laquelle les mots n’étaient pas nécessaires, la présence à chacune réelle et forte, me laissant rarement un sentiment d’impuissance et de limites quant à mon rôle soignant même si je peinais par moments à en trouver du sens.
Le suivi sur dix mois d’hospitalisation fut jalonné de bas et de hauts, de phases de découragement, de peur, d’angoisse, de désespoir profond (à l’annonce des gestes chirurgicaux multiples et variés) mais aussi de ces moments où Franciane apaisée, joyeuse, démontrant une énergie vitale et une force hors du commun, avait à coeur de retrouver une autonomie dans des gestes au quotidien. Nous avons été touchés lorsqu’elle demanda la venue d’une coiffeuse pour se faire belle et l’intervention de la socio-esthéticienne de l’établissement pour à nouveau être maquillée puis apprendre à se maquiller seule… et quel cheminement après avoir maudit autant son corps de retrouver le désir de l’embellir, le plaisir de prendre soin d’elle.
Nous avons souvent discuté avec l’équipe soignante de l’importance que pouvaient revêtir les séances de Toucher-massage pour Franciane, en plus de la qualité de l’accompagnement de chacun des soignants la prenant en soin. Ces séances ont été aussi très aidantes pour alléger une équipe se sentant bien impuissante à certains moments et en souffrance face à une situation insupportable et insoutenable.

Quels conseils souhaites-tu donner aux soignants qui vont te lire ?

Cette façon de prendre soin m’a permis, en tant que soignante, de développer mes capacités d’écoute attentive, de présence, d’utiliser pleinement mon toucher, d’avoir une qualité d’observation plus affinée, pour mieux comprendre et non juger. Cette pratique est un lien et un mode privilégié d’intervention thérapeutique et de communication, un outil d’accompagnement dans la prise en soin globale de la personne, c’est aussi un moyen à notre disposition pour entrer en relation avec les familles, pour les apaiser dans les expériences émotionnelles fortes souvent vécues comme inconfortables par le soignant. Il n’y a quelquefois rien à dire, juste à savoir poser une main sur une épaule, pour signifier par ce geste notre présence, notre empathie.
La qualité de la relation en est améliorée, superbement enrichie, permettant de contribuer à l’autonomie de la personne, à son cheminement ou simplement l’aider à rester debout, donnant du sens lorsque celui-ci peut faire défaut dans des situations de souffrances indicibles.
La justesse de nos actes est définie par la personne soignée. Si elle va mieux, se sent mieux, alors nous sommes dans la justesse de notre fonction et des valeurs que nous voulions défendre en choisissant ce métier. Malgré les obstacles, il faut continuer à faire ce en quoi nous croyons et ne pas renoncer.

Parle-nous de ta participation au DU douleur.

Intervention d’une heure dans le cadre des thérapies non médicamenteuses de la douleur où je présente le Toucher-massage, son éthique, ses effets, ses précautions d’emploi, « toute la richesse dans son utilisation » et l’expérience que j’en ai au sein de notre consultation, les exemples ne manquant pas !

Quelle place a le Toucher-massage dans ton activité au quotidien ?

Il est l’essentiel de mes interventions de soins, je pratique aussi des séances de relaxation et de magnétothérapie (traitement par ondes magnétiques pulsées). Pour être précise, j’ai effectué, en 2012, 877 séances de Toucher-massage, 144 séances de relaxation, 63 séances de magnétothérapie.
Le suivi est établi sur 20 séances à rythme hebdomadaire (dans la mesure du possible) de 45 minutes (évaluation et soin), une seule exception d’1h20 environ. Chaque séance est évaluée et tracée dans le dossier du patient. Une évaluation de la prise en soin est faite au bout des 20 séances. La poursuite du suivi est fonction des bénéfices apportés et des objectifs réalisés, en concertation avec le(s) médecin(s) référent(s). Une totale confiance et liberté me sont accordées dans le choix de mes soins. Merci aux médecins qui m’accompagnent.
L’intérêt majeur des prestations Toucher-massage vient du fait qu’elles permettent une prise en soin dans une dimension globale de la personne : somatique et psychologique. Le toucher va à l’essentiel, c’est ce que j’expérimente tous les jours, et après toutes ces années, j’en suis encore étonnée !
Pour étayer la valeur et l’importance du Toucher-massage dans notre « arsenal » thérapeutique, Isabelle, souffrant d’un syndrome poly-algique diffus associé à un lupus, m’a fait cadeau de son témoignage…

Mon expérience du massage intégral ?

Depuis quelques semaines je bénéficie du massage intégral fait par Mme DEBRIE.
Quand j’arrive à la consultation, chaque pas est douloureux, je me traîne. Ensuite, il faut se déshabiller, chose qui dans mon cas est un calvaire. Une fois sur la table, je me mets sur le ventre. Mme DEBRIE commence le massage et là commence la détente, je me décontracte doucement…Puis je me retourne, elle commence à poser ses mains sur mon ventre… Là, je ferme les yeux, je sens mon corps s’alléger, comme si j’en sortais. Et très vite une image me viens, elle ne me quitte pas : je me sens portée sur un nuage.
Et puis la fin du massage, certainement le meilleur moment pour quelqu’un comme moi, qui malgré les traitements contre la douleur a mal entre 4 et 8/10.
Je me redresse sans aucune difficulté alors qu’une heure auparavant, c’est tout juste s’il ne fallait pas un palan pour me coucher sur la table. Je peux plier mes genoux… toujours aucune douleur, je suis comme une poupée de chiffon. Je fais mon test : il consiste à mettre mes bras derrière la tête… alors qu’en temps normal, je ne peux plus lever les bras… et là je savoure ce moment, tellement fière de pouvoir le faire. Après je me rhabille avec une souplesse et surtout toujours sans douleur. Quand je repars, je sens à peine mes pieds toucher le sol… « Je vole ». Dès que j’arrive chez moi, je dors environ 5 à 6 h minimum. Je n’ose pas me lever tellement je suis bien. Je vais manger et je repars pour une nuit complète. Je réduis ma dose d’antidouleur. J’en supprime même un. Et tout cela dure environ 4 jours où je baisse d’un ¼ mon traitement et supprime toutes les interdoses. Quand le massage ne fait plus d’effet, j’ai plus qu’à re-supporter mes douleurs jusqu’au rendez-vous.
Il faut le vivre pour le croire. Mais, moi, je remercie Mme DEBRIE pour ces journées où je peux vivre normalement et qui pourrait le croire quand on parle juste de « massage » ?