Portrait de praticien

Marie-Laure COMPIN DUBUS

Présentation

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Marie Laure, jeune femme joyeuse et dynamique partage aujourd’hui avec nous, son incroyable aventure personnelle et professionnelle dans le domaine du Toucher-massage. Aide-soignante depuis l’année 2000, elle travaille dans un centre hospitalier public des Hauts de France. Très vite, conquise par les soins, elle prépare le concours d’entrée à l’Institut de formation infirmiers, qu’elle réussit … mais elle ne pourra pas se présenter le jour de la rentrée, car ce même jour elle accouche d’une petite fille, puis finalement pour différentes raisons, elle choisit de rester près de son bébé et de renoncer à la formation.

Marie-Laure adore son métier. Elle s’éclate particulièrement dans le service de cardiologie où elle restera 5 années puis en unité de cardiologie soins intensifs où le travail en binôme avec une infirmière, lui plaira tout autant. Elle y restera 4 ans. Ensuite, comme beaucoup de jeunes mamans, elle fait le choix de demander un poste de nuit afin d’être plus présente auprès de ses enfants. Dans ce nouvel univers, elle découvre une autre forme de prendre soin : le service de soins intensifs de cardiologie est un lieu de stress extrême avec pour la plupart des patients une détresse morale sous-tendue par la possibilité d’une mort imminente, il est donc très important de prendre soin de la personne aussi bien physiquement que psychiquement. Plus de temps est accordé au relationnel avec la possibilité d’être dans l’attention, l’écoute, de privilégier une communication non-verbale. Cette expérience sera un premier déclic dans le cheminement de Marie Laure, une prise de conscience et l’évidence de devoir faire une formation pour offrir à ces patients un soin relationnel qui apaise leur détresse. Après quelques recherches sur les formations existantes autour des pratiques non médicamenteuses, une découverte : l’IFJS et de son savoir-faire ! Marie Laure se réjouit, c’est exactement ce qu’elle recherche et ce qu’elle aimerait faire ! Vite, elle écrit un projet, qu’elle soumet à la direction de l’établissement, sa demande de formation est acceptée. La voici inscrite à une formation qui s’échelonnera sur deux années et qui va changer le cours de sa vie, mais ça elle ne le sait pas encore !

Cette formation lui apporte énormément, au-delà de ses attentes même. Il y a les apprentissages bien entendu, mais aussi les journées consacrées à la relation d’aide animées par Yannick Brondel, psychologue clinicienne qui fait partie de l’équipe IFJS. Ces journées sont l’occasion pour les participants et participantes de parler de leurs difficultés, de s’épancher sur leur mal-être, de poser des mots sur leurs maux, de libérer des émotions pour enfin prendre du recul et mieux comprendre leur fonctionnement. Au final, c’est opportunité de grandir un peu. Marie Laure revient des sessions, chaque fois un peu plus forte, un peu plus motivée. Très vite, la mise en place des pratiques demandées pour valider son cursus et l’importance des bénéfices observés vont lui permettre d’acquérir le sentiment de légitimité.

Fièrement elle décroche le certificat de compétences, mais peu après c’est l’accident, une patiente lui tombe dessus, son épaule est gravement blessée. Elle se retrouve en incapacité de travail et après un arrêt prolongé, obtient un mi-temps thérapeutique en poste de jour. Par chance la cadre du service où elle est mutée, cherche à promouvoir dans son unité, une forme plus globale du prendre soin, les compétences de Marie Laure, les résultats précédemment obtenus auprès des patients, la séduisent tout particulièrement, elle l’invite donc à utiliser cette pratique pendant la toilette des patients et puis … Oh joie ! Marie Laure se voit accorder, avec une de ses collègues, un jour par semaine pour pratiquer le massage assis ou sur table, auprès du personnel.

Les retours sont extrêmement satisfaisants, très vite, jugée inapte aux soins par le médecin de santé au travail, elle se voit confier toujours à mi-temps, un poste de Praticienne en Toucher-massage ! Curieusement c’est cette douloureuse aventure qui lui permet d’obtenir le poste qu’elle souhaitait : elle est heureuse et reprend espoir quant à sa place auprès des patients. L’année qui suit sera très agréable, elle est très motivée, entourée d’une direction et d’une cadre qui lui témoignent toute leur confiance, qui s’intéressent à l’impact de sa pratique. En retour, Marie Laure prend grand soin de leur faire parvenir le bilan mensuel de son activité, elle décline le nombre de rendez-vous effectués, la teneur des séances et les bénéfices observés.

Tout est bien … sauf que comme bon nombre d’établissements, la politique de soins prend un virage très différent, on s’éloigne de l’humain pour privilégier l’aspect financier, le rendement. Alors, s’en suit un changement de direction, de cadres … Résultat : le Toucher-massage n’est plus un sujet d’intérêt, Marie Laure n’est plus épaulée, elle se sent seule. Elle continue de faire parvenir le bilan de son activité … mais elle n’a aucun retour, elle rebondit, s’investit de plus bel, crée deux nouveaux projets que le chef de pôle refuse systématiquement. Les 6 années suivantes, seront des années de bataille, sous ses yeux la qualité des soins se dégrade. C’est à cette époque, qu’après avoir traversé quelques vicissitudes avec ses supérieurs hiérarchiques, après avoir été le témoin de scènes de maltraitance assez effrayantes, qu’elle s’intéresse puis s’investit dans la vie syndicale. Elle y trouvera le réconfort, les valeurs humaines, la solidarité qu’elle ne ressent plus forcément dans son quotidien professionnel et qu’elle continue de défendre avec la pratique du Toucher-massage.

Malgré cela la pression est trop forte, l’écart s’aggrave entre son investissement et la maltraitance institutionnelle … et c’est le burn-out. Un burn-out particulièrement destructeur qui lui vaut un mois d’hospitalisation et plus de deux ans d’arrêt maladie.

Après cette longue période passée en dehors de l’hôpital, Marie Laure ne s’imagine plus revenir dans les soins, s’intégrer à un fonctionnement qui la dépasse, elle fait un bilan de compétence qui l’oriente vers une création d’entreprise dans le domaine du Bien-être. Exercer le Toucher-massage en libéral loin des contraintes d’un établissement de soins, elle rêve déjà !

Toute à la gaîté de concrétiser un tel projet, de quitter le public pour exercer comme elle le souhaite avec un statut libéral, Marie Laure se rend au rendez-vous que vient de lui fixer la toute nouvelle direction de son établissement (encore une autre !). Cela fait deux ans qu’elle est en arrêt maladie, elle est invitée à venir faire le point de sa carrière. Elle se rend au rendez-vous, mais elle est perplexe, elle ne sait pas ce qu’on va lui proposer, ni à quelle sauce elle va être mangée. Elle est tout d’abord surprise par la qualité de l’accueil qu’elle reçoit, les personnes présentes se montrent agréables, bienveillantes. Quel n’est pas son étonnement ! Elle a même carrément l’impression qu’on déroule à ses pieds un tapis rouge … Rêve-t-elle ? On lui parle de ses valeurs, de ce qu’elle a déjà mis en place dans l’institution puis on lui apprend que l’ARS et la DGOS financent des projets bien-être pour les résidents en EHPAD. Ses interlocuteurs lui expliquent alors que, si elle est intéressée par ce profil de poste, elle serait autonome … il lui faut juste leur faire parvenir un projet : le fonctionnement et les moyens dont elle souhaite disposer. Marie Laure repart abasourdie, elle ne s’attendait pas à cet accueil et une si belle proposition. Mais une fois l’effet de surprise passé, elle reste sur ses craintes : l’EHPAD, les conditions de travail pas suffisamment satisfaisantes, la maltraitance, elle connaît, elle s’est trop battue, elle a trop souvent été déçue, alors tout en étant extrêmement sur la réserve, elle crée le projet … mais tant qu’à faire, elle pose sur papier son idéal. Elle décrit la façon de fonctionner qu’elle choisirait si elle était en exercice libéral : l’organisation, la gestion et le contenu des rendez-vous, le temps imparti à chaque personne et puisque ce poste proposé est prévu sur deux EHPAD, elle ajoute la mise à disposition d’un local adapté dans chaque établissement avec bien entendu le matériel tout aussi adapté, etc., etc. Marie Laure s’amuse à jouer les princesses, elle n’est pas sûre d’avoir envie de retrouver l’hôpital, alors elle dépose un projet très ambitieux : si elle revient ce sera dans les meilleures conditions. De toute façon, elle n’y croit pas !

Trois mois après l’envoi de son projet, elle est convoquée par la direction qui lui annonce qu’à partir de ses demandes et informations, une fiche de poste a été créée, qu’à part quelques minimes ajustements, elle obtient ce qu’elle veut pour fonctionner !

Oups …. Marie Laure est scotchée, comment refuser !

En 2017, elle reprend donc sur un 70% thérapeutique, un poste de Praticienne en Toucher-massage, poste qu’elle a elle-même créé et construit. En 2018, elle retrouve un temps plein. Si les années précédentes ont été particulièrement compliquées, elle baigne maintenant dans une certaine ivresse, elle marche sur un petit nuage, qui plus est son activité fait l’objet d’un suivi régulier par sa nouvelle et dynamique direction, les bilans mensuels puis annuels lui permettront le réajustement de ses demandes, d’affiner les besoins … !

Marie Laure intervient donc sur deux établissements bien distincts, le premier est un EHPAD où les résidents sont autonomes, elle vient sur ce site un jour par semaine pour pratiquer des massages de bien-être. Il s’agit pour la plupart des séances effectuées de travailler sur l’acceptation de soi, d’apprivoiser son corps vieillissant tout en conservant une certaine vitalité. Le second établissement, les résidents sont dépendants, Marie Laure vient 4 jours par semaine pour pratiquer des soins de confort, sous différentes formes. La demande de prise en soins est ordinairement faite par l’équipe soignante mais cela peut être également les familles, particulièrement lorsque leur parent présente des douleurs importantes ou la stagnation d’un état critique. Elle intervient régulièrement quand l’équipe « n’y arrive plus », lorsque la prise en charge est trop lourde, la situation complexe, qu’il est jugé nécessaire que la personne bénéficie de soins de confort personnalisés et d’un espace-temps privilégié, ce que Marie Laure peut offrir puisqu’elle en a les compétences et la possibilité. Une de ses prestations préférées est la toilette thérapeutique en baignoire barque, elle dispose à sa demande d’un créneau de plus d’une 1H voire 1H30 afin que la personne relaxée passe un moment particulièrement agréable. Elle aménage le cadre : musique relaxante en fond sonore, lumière tamisée, d’ailleurs quand c’est possible elle choisit de fonctionner dans la pénombre, et la magie opère : elle ne se lasse pas de la beauté de ce moment d’exception, la toilette intime est effectuée de façon traditionnelle puis au gré de ce que ses mains lui disent, des tensions, des rétractions, de la posture adoptée par la personne âgée, elle laisse ses mains fonctionner, elle leur fait confiance, elle les laisse danser sur le corps douloureux, fatigué qui peu à peu se détend, s’ouvre, semble revenir à la vie. Il arrive qu’entre ses mains, les gens finissent par s’endormir tant ils se sentent bien et en sécurité. Dans le même esprit, Marie Laure pratique des douches thérapeutiques, pour les autres séances effectuées au lit du résident, elle utilise énormément la Relaxinésie, qui lui permet de détendre et mobiliser les membres atrophiés ou en rétraction. Les bénéfices sont très souvent spectaculaires, avec de façon régulière la diminution du syndrome douloureux de façon significative et le retour à une autonomie pour certains mouvements. Selon les besoins, les résultats attendus, les résidents peuvent bénéficier de ces soins confort de façon ponctuelle ou de façon régulière, c’est une décision partagée avec l’équipe, les médecins, la famille. Ainsi certains résidents sont accompagnés pendant 3 ou 4 mois et plusieurs fois par semaine.

Marie Laure exerce toujours seule, elle utilise activement toutes les techniques de manutention apprises lors de sa formation. Bien entendu, elle peut demander d’être aidée si besoin, mais globalement, elle fait son bonhomme de chemin seule, elle s’organise comme elle le souhaite. Il arrive que certaines situations soient trop complexes à gérer, elle a alors recours à la bienveillance de la psychologue ergonome de la santé au travail qui lui donne les conseils attendus. Elle souligne aussi quelque chose qui lui semble vraiment important : la formation Toucher-massage lui a appris à être très à l’écoute de son propre corps, tout en étant vigilante à la fluidité de ses gestes, elle détecte la moindre tension et rectifie de suite son positionnement. Elle veille à ne jamais se sentir douloureuse ni fatiguée à la fin de la journée. C’est un vrai challenge, c’est ça aussi, sa victoire.

Reste que dans ce cadre de soins particulièrement idyllique, tout n’est pas aussi simple, autour d’elle les conditions de travail des soignants en EHPAD continuent de se dégrader, deviennent propices à la démotivation du personnel, à la maltraitance. Il en découle que son statut privilégié et l’aménagement optimal de ses conditions de travail, donnent lieu à quelques jalousies, Marie Laure n’est pas toujours reçue avec bienveillance, une cadre lui a même dit un jour qu’elle créait un besoin chez les résidents … « Ben oui, forcément ! » a eu envie de répondre Marie Laure … « Qui refuserait de se sentir mieux ? ». Qu’importe, notre praticienne TM est une femme de caractère, déterminée, elle continue son bonhomme de chemin en essayant de répondre au mieux à la fois aux demandes et besoins des personnes vieillissantes en institution, elle a conscience qu’elle leur apporte le petit bout de vie, le petit bout de ciel bleu auquel elles aspirent.

Dans son établissement, ces dernières années, des faits de maltraitance en EHPAD sont dénoncés de façon régulière, ils ne sont suivis d’aucun contrôle ou autre forme de démarche, les changements réguliers de direction ne facilitent pas les choses. Alors, à son petit niveau, Marie Laure essaie d’être pédagogue, d’accompagner avec bienveillance le cheminement de certaines soignantes qu’elle perçoit comme perdues ou profondément démotivées. Mais aujourd’hui, il lui semble nécessaire de s’investir davantage et différemment, d’être plus active dans la défense des conditions de travail et d’une politique de soins tournée vers l’humain, elle a donc accepté une place de secrétaire départementale et locale dans le syndicat professionnel qui a sa préférence. Elle décrit cette nouvelle mission comme passionnante, en cohérence avec les idées qu’elle défend. Mais cela lui prend beaucoup de temps, se pose donc la question du remplacement de son poste de Praticienne en Toucher-massage ou au moins la possibilité d’être secondée. Intuitivement, Marie Laure sent qu’en acceptant un temps plein syndical, elle met en péril la continuité du poste de Praticienne en Toucher-massage. Ce serait oublier sa pugnacité, elle ne lâche rien ! Alors tant que son poste n’est pas officiellement remplacé, elle maintient son activité. Au fil des années, elle a encouragé des soignantes à se former et développer les compétences nécessaires, si bien qu’aujourd’hui, elles sont 5 à pouvoir postuler pour la continuité des soins de bien-être et confort aux personnes âgées. Le bras de fer entre elle et l’institution est engagé et elle a appris à croire en ses rêves ! Lors de la rédaction de son tout premier projet, ses collègues lui riaient au nez « Tu rêves ! » s’est-elle entendu dire de nombreuses fois … et pourtant son rêve s’est bel et bien réalisé, alors pourquoi baisserait-elle les bras aujourd’hui ? Elle veut encore y croire, elle fera tout ce qui est en son possible pour que ce poste soit pourvu et rendu pérenne afin que d’autres soignantes puissent prendre le relais.

A l’ultime question : « Que retires-tu de ton parcours, des difficultés que tu as rencontrées et de tout ce que tu as mis en place, que retiens-tu de cette expérience .. de cette folle aventure pourrait-on dire ? »

Marie Laure répond que tout ce qu’elle a vécu, toutes les épreuves par lesquelles elle est passée, ont été nécessaires. Auparavant elle n’était pas assez sure d’elle, pas assez en congruence avec ses propres valeurs ou aspirations, il lui a fallu ce cheminement pour se connaitre mieux et trouver la force de s’affirmer. Lorsqu’en burn out, elle a été hospitalisée, elle ne tenait plus sur ses jambes, elle était plus capable de rien, « j’étais devenue un légume » dit-elle, et bien durant tout ce mois d’hospitalisation, c’est l’empathie, la gentillesse, la bienveillance des soignantes qui ont pris soin d’elle, qui lui ont redonné le goût de vivre et la force de reprendre les rênes de sa vie. C’est une chose qu’elle n’oubliera jamais : la force de ce soutien, de cette humanité. Cet épisode de vie bien que dramatique a été déterminant dans la suite de son parcours, il a permis ce qu’elle nomme « une construction de moi », d’apporter aux autres ce qu’elle-même avait reçu, de devenir cette femme et cette professionnelle-là ! Elle s’est enfin trouvée, ou plutôt, elle a trouvé la force d’être qui elle est ! Aujourd’hui elle se sent vraiment bien : « alignée … en phase avec moi-même et ouverte aux découvertes que m’offre la vie ».

C’est d’ailleurs ce qui transparaît dans le retour que font les résidents, certains lui demandent gentiment d’embrasser ses mains, d’autres lui disent comme ils la trouvent belle et bien ancrée.

Que de chemin parcouru pour aujourd’hui être cette amoureuse de la vie, Emma Stone dit : « Je ne vois pas de meilleure représentation de la beauté qu’une personne qui n’a pas peur d’être elle-même. » En voici encore, un nouvel et bel exemple.

Nécessairement en fin d’entretien, je lui demande le conseil qu’elle souhaite donner aux soignants/soignantes et praticien/praticiennes qui vont lire ce portrait, elle ne réfléchit pas et s’exclame de suite : « Ne vous laissez jamais décourager. Les rêves, les utopies, les valeurs que vous défendez s’ils sont nobles, s’ils sont vrais, ils finissent toujours par payer ! »

Et puis, elle me confie qu’elle ne croit pas au hasard, que si l’école Européenne du Toucher-massage n’avait pas été sur sa route, elle aurait bien entendu fait autrement, mais très sûrement elle ne serait pas arrivée au même résultat, elle a rencontré la bonne école au bon moment, et sa vie a pris un heureux tournant !