Soiliance Production

Quelle place accordons-nous à l’amour dans le soin ?

En 2014, le congrès du Toucher-massage a été organisé autour d’une thématique audacieuse : Parlons d’amour !

Il s’agissait de s’interroger sur la possibilité de soigner sans aimer … !

Pour nous accompagner dans cette réflexion, nous avions choisi d’inviter Christophe Pacific, ce cadre supérieur de santé, docteur en philosophie qui manie les concepts philosophiques aussi bien que la poésie et la beauté du verbe. Sa jovialité ne pouvait pas mieux tomber pour donner à cette conférence les accents de fraternité, d’humour et de tendresse dont nous avons tellement besoin.

Christophe : « Peut-on vivre sans musique, sans amour, sans éthique ? oui, mais moins bien !

Un soin sans amour aurait-il du sens ? Serait-il encore un soin ?

Nous tenterons une réponse à partir de la mythologie grecque et d’autres sources qui permettront d’éclairer cet obscur sentiment qui nous sert de fourre-tout et dans lequel nous mélangeons un peu tout et n’importe quoi.

L’occasion est belle de parler d’amour, ne nous en privons pas. Peut-on soigner sans amour ? La relation professionnelle entre le soignant et la personne soignée n’est pas exempte d’affects, mais comment se déclinent-ils précisément ? Nous avons évacué l’amour de notre discours professionnel au profit de valeurs comme le respect de la dignité. La laïcité a permis une vraie réflexion morale et philosophique moderne sur le soin mais, au même moment, elle a abandonné une dimension qui touche à la posture soignante, son esthétique, sa grâce. Comme si nous ne pouvions pas parler à la fois de respect de la dignité et d’amour. Le soin sera bien entendu le support de notre débat mais aujourd’hui, il s’agit de vous livrer, ni plus ni moins, LA recette de l’Amour : le bon, le vrai, le beau, le juste.

Pour ma part, lors de ma formation initiale d’infirmier, je n’ai pas exploré ce concept en termes de relation soignant/soigné mais j’ose espérer que la lacune est comblée depuis ce temps (que les gens de vingt ans ne peuvent pas connaître…). Bref, si l’Amour vous intéresse un tant soit peu, vous angoisse un tantinet quelquefois ou plus simplement, si vous souhaitez donner une place et du sens à l’amour dans votre vie, je vous invite au dévoilement (du concept bien sûr)…

Nous parlerons d’amour et de ses accointances naturelles avec l’éthique. Nous parlerons aussi de son commerce avec la mort car il ne suffit pas d’aimer autrui pour répondre au besoin de soin. Il y a des gestes d’amour qui tuent et un soignant ne peut se satisfaire de vouloir bien traiter, il faut qu’il se dépasse en termes d’humanité pour que cet amour devienne une réponse et non une simple intention. De la conviction et de l’intention simple il convient de se déplier en tant qu’humain pour que ce dépli s’étoffe de responsabilité et que l’amour soignant légitime son droit de cité. Parler d’amour en soignant parait presque subversif alors qu’il est peut-être le fondement même du soin. 

Entre l’excès et le défaut, Aristote nous invite à une juste mesure et il appartient au soignant de construire cette voie du milieu à chaque rencontre. Cet amour vertueux du soignant prend corps quand nous touchons les patients et que nous nous interrogeons avec lui sur la meilleure façon de le faire. Le toucher massage invite à explorer de nouveaux territoires soignants, ceux-là mêmes où le praticien cherche à donner la juste réponse au besoin de soin et sans pour autant viser un bénéfice thérapeutique. Les frontières de ces territoires sont très nuancées à chaque exploration et nous devons nous dépasser pour trouver cette connexion qui se situe ni dans l’excès, ni dans le défaut.

Assumer sérieusement cette part des anges comme un élément constitutif de la relation de soin relève de notre responsabilité professionnelle. L’occulter nous exposerait à notre simple humanité et aux vulnérabilités que nous lui connaissons. Prendre soin d’autrui n’est rien d’autre que ce que l’homme peut offrir de meilleur, et pour que ce « meilleur » puisse le rester il nous faut résister pour ne pas troquer notre blouse blanche contre un bleu de travail ! La formation initiale a largement ouvert ses portes aux sciences humaines et la démarche éthique se formalise, autant de chances données pour parler d’amour. Militer pour défendre la place de l’amour dans le soin est finalement une belle guerre à mener. Il en va de notre éthique soignante, que serait-elle sans amour ? »

Christophe PACIFIC