Portrait de praticien

Sylvie Sicamois et Valérie Laulo

Présentation

Sylvie Sicamois et Valérie Laulo travaillent depuis une vingtaine d’années dans le service de réanimation polyvalente du CH Marc Jacquet à Melun en Seine-et-Marne. Aide-soignantes, à la fois collègues et amies, elles ont associé leur complicité joviale et naturelle au service d’une cause commune, le souhait de redonner une dimension humaine aux soins techniques de réanimation.
Ensemble, elles découvrent le Toucher-massage® en 2011 et depuis elles n’ont de cesse que d’œuvrer en faveur du bien-être des patients mais aussi des équipes soignantes. Certifiées Praticiennes-référentes en relation d’aide par le Toucher-massage en mars 2015, elles ont accepté de jouer le jeu de l’interview croisé pour nous faire partager leur quotidien dans la pratique du Toucher-massage en service de réanimation.

La première question est posée par Sylvie : - Valérie, la réanimation est un service que tu affectionnes particulièrement, comment le Toucher-massage cohabite t-il avec la technicité ?

La réanimation est un service technique, un service de pointe en progrès constant, qui accueille des patients présentant ou susceptibles de présenter une, voire plusieurs défaillances de fonctions vitales. Les méthodes de suppléance et les dispositifs médicaux mis en place sont complexes et peuvent être perçus comme agressifs et intrusifs. De nombreux ressentis négatifs comme la douleur, l’angoisse, le stress, l’isolement altèrent la dignité et l’intégrité de tout individu qui séjourne sur un lit avec pour environnement proche de multiples appareillages qui l’empêchent d’appréhender librement tout mouvement. Pour autant, j’affectionne passionnément cet univers constitué de contradictions parfois déroutantes qui dynamisent un quotidien professionnel où la routine n’est pas instrumentalisée. Dans ce type de service se côtoient différents comportements dictés par les priorités du moment, cela peut être une équipe dont la cohésion, orchestrée par une bonne dose d’adrénaline, qui met tout en œuvre pour sauver une femme victime d’un arrêt cardio-respiratoire, un trinôme : IDE, AS et médecin, qui réconforte une famille venant d’apprendre la fin de vie d’un proche, un jeune infirmier soucieux de respecter les protocoles d’isolement à la lettre, qui s’habille en cosmonaute pour saluer un patient et lui serrer la mains avec ses gants. A ce sujet, j’ai pu observer que chez certains soignants, le port de gants est une protection non pas contre les germes, mais contre une proximité. La vie et la mort, la gravité et la futilité, la gaieté et la tristesse sont donc autant de contrastes qui se côtoient dans cette fourmilière à échelle humaine avec ses satisfactions et ses déceptions. Tout au long de ces années, j’ai été à la fois actrice et figurante dans l’évolution incontournable des pratiques professionnelles qui ont laissé dans leur sillage des carences significatives en matière d’écoute et d’approche de la personne soignée. La découverte du Toucher-massage a donc été pour moi, une solution pour réconcilier deux entités : humanité et technicité. Ma formation en massage a été jugée salutaire pour les patients mais aussi pour les équipes soignantes. Masser les jambes d’une personne âgée, pendant que le médecin lui pose un cathéter en jugulaire, accompagner une mère et partager avec elle le massage des mains de son fils dans le comas, soulager le dos d’un patient douloureux, masser le visage d’une jeune femme intubée, ventilée mais consciente, proposer des pauses détente à des collègues stressés par une activité croissante tous ces moments différents appartiennent aujourd’hui à une dynamique collective, ils contribuent au « mieux vivre en service de réanimation. » Un jour une patiente après avoir reçu un massage du dos à l’huile m’a dit ces mots : « J’ai l’impression d’avoir de nouveau un corps. » Cela m’a beaucoup touché.

La seconde question est posée par Valérie : - Et toi Sylvie, quelles ont été tes motivations pour suivre cette formation certifiante ?

Après plusieurs années d’activité, j’avais besoin d’un second souffle, le fait que dans les soins du quotidien la technicité fasse de l’ombre à l’humanité me pesait. Le Toucher-massage s’est donc présenté à moi comme un allié inespéré, il allait m’aider à atteindre les objectifs que je m’étais fixée pour continuer à m’épanouir dans mon métier :

– renforcer une relation où le geste remplace la parole,

– donner une vérité et un sens au toucher dans les soins,

– développer une bienveillance dans l’écoute et la parole,

– faire du bien être un droit à part entière sur la charte du patient hospitalisé.

Valérie demande à Sylvie : - Au quotidien, dans ton activité de soignante, comment le Toucher-massage est-il perçu ?

Depuis ma rencontre avec le Toucher-massage en 2011, j’ai revu et corrigé la manière d’exercer mon métier d’aide soignante. Dans le service, mes collègues me sollicitent souvent pour pratiquer une séance avant un soin technique de façon à détendre un patient tendu par le stress ou l’anxiété. Au quotidien, j’aborde les soins différemment. La prévention d’escarres des talons est devenue le massage des jambes. Masser le cuir chevelu est indissociable du shampoing en capiluve. Avant de lever un patient au fauteuil, je pratique systématiquement un réveil des membres inférieurs avec des mouvements de Relaxinésie qui facilitent la mobilité. Je n’ai rencontré aucune difficulté à faire accepter le Toucher-massage par l’ensemble de mes collègues. Je les masse souvent et les bienfaits éprouvés sont accueillis avec enthousiasme. En recevant ces gestes bienveillants, les personnes de l’équipe ont compris ce que pouvaient ressentir les patients. Certains même, très motivés, se sont inscrits pour se former aussi. Au centre hospitalier de Melun, nous avons la grande chance d’avoir une formatrice certifiée IFJS, qui organise chaque année depuis deux ans, plusieurs sessions d’initiation. La direction de l’établissement a pu répondre ainsi à la volonté d’un nombre de plus en plus grand de soignants de se former au Toucher-massage. Je suis très fière, qu’en tant que pionnières, nous ayons réussi à ancrer la pratique du Toucher-massage au sein du C.H. Marc Jacquet. je pense pouvoir dire qu’aujourd’hui, cette pratique fait partie intégrante du projet de soins infirmier, inscrit dans le projet de bien-traitance mis en place au sein de l’établissement, pour la période 2015-2019.

Sylvie prend maintenant la place de l’intervieweuse : - Valérie, quelqu’un m’a dit que « le bien être » avait le vent en poupe au CH Marc Jacquet, qu’il s’exporte même dans différents congrès de réanimation et d’anesthésie, peux tu m’en dire davantage ?

Oui, oui, tout à fait. Nous sommes trois praticiennes certifiées et depuis 2014 nous avons mis en place, à raison de 6 par an, des journées bien être réservées aux salariés qui peuvent venir sur leur temps de travail ou de repos pour profiter d’une pause détente redynamisante. Nous leur proposons le choix entre différents massages d’une durée de 10 à 20 minutes environ.

Deux objectifs ont motivé cette initiative :
– Le premier était de permettre à chaque soignant de s’extraire un moment de ses responsabilités professionnelles pour évacuer stress, tension, fatigue, de façon à continuer la journée le plus sereinement possible. Nous pensons que cela peut permettre de s’épanouir dans ses compétences.

– Le deuxième objectif, était de sensibiliser le personnel sur les bienfaits du Toucher-massage, leur montrer comment développer une attitude bienveillante.

Nous participons à différents congrès de réanimation (CREUF, JMARU, SFAR) durant lesquels nous animons des ateliers autour du Toucher-massage. Nous intervenons auprès d’ un public composé de médecins réanimateurs et anesthésistes, cadres de santé, représentants de grands laboratoires. Quand l’attention est retenue et le lâcher prise au rendez-vous, les consciences se réveillent. Ces moments d’échanges, permettent je pense, une nécessaire prise de conscience sur la possibilité d’améliorer la prise en charge des patients en service de réanimation. Nous sommes convaincues que notre présence et les massages effectués aident certains médecins réanimateurs à réfléchir sur leur attitude avec les patients, que cela développe en quelque sorte l’envie d’améliorer une proximité humaine trop souvent délaissée dans ce secteur de soins.

Valérie souhaite conclure cet entretien par une jolie histoire : - Sylvie, peux-tu partager avec nous le témoignage d’une patiente qui t’a touchée ?

Madame Q, victime d’un accident de la route, a été admise en réanimation. Elle souffre d’une fêlure cervicale, d’un volet costal et de plusieurs contusions aux jambes. A la fois choquée, douloureuse et angoissée, elle n’acceptait pas d’être mobilisée, touchée et refusait le dialogue. Je me suis présentée à elle en lui expliquant que je devais lui faire un shampoing afin de lui retirer tous les éclats de verre restés dans ses cheveux mi-long, qui risquaient de la blesser davantage. En observant ses effets personnels, j’ai compris que Madame Q était coquette et qu’elle était soucieuse de son apparence. Avant le soin, elle me sourit en exprimant sa peur d’avoir mal. Tout en lui tenant la main, je la rassure avec des mots simples qui l’apaisent. J’ai fait preuve de toute la douceur et la lenteur dont j’étais capable pour que ce moment lui apporte le calme et la sérénité dont elle avait tant besoin. Une relation de confiance s’est installée entre nous qui m’a permis de faire sa toilette sans aucune difficulté. Au fil des jours, Madame Q, devenue plus sereine, a accepté tous les soins nécessaires à son rétablissement, ses angoisses se sont progressivement dissipées. Et elle accueillait la toilette du matin avec sourire et soulagement.

Un jour, elle m’a offert ces mots qui m’ont énormément touchée : « C’est comme un coup de baguette magique, je me sens tellement bien après votre venue. Vous êtes le petit bonheur de ma journée. »

Cette phrase en dit long et démontre à quel point le Toucher-massage a toute sa place en service de réanimation, essentiel pour les patients, il valorise les soignants.