COVID : massage aux soins intensifs

Au printemps 2020, durant la première vague de la pandémie, des massages ont été proposés aux collaborateurs des Hôpitaux universitaires de Genève afin de les soulager du stress occasionné par le Covid-19. Dispensée par une infirmière spécialisée, cette prestation originale a aidé les soignants à traverser cette période difficile.

Afin de soutenir les professionnels durant la pandémie de Covid-19, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont mis en place différentes mesures au printemps 2020: facilités de garde pour les enfants, offre gratuite des repas et du parking. Le  département de médecine aiguë, qui comprend les services des soins intensifs, des urgences, d’anesthésiologie et de pharmacologie a souhaité renforcer le soutien aux professionnels en mettant à leur disposition un soutien psychologique, spirituel et des hypno-pauses. Afin de compléter l’offre, le responsable des soins du département
a proposé un projet de pause-détente pour les collaborateurs. L’objectif était de leur offrir un espace avec un massage afin de contribuer à leur bien-être dans cette période de stress. Le concept a été validé par les responsables du service ainsi que par la
médecine du travail qui a confirmé la pertinence d’une telle prestation pour autant que les mesures sanitaires de protection soient respectées.

Pour libérer les tensions
Deux approches de détente ont été déployées aux HUG: le massage-minute et le healing touch. Le premier se base sur le concept du toucher-massage qui se définit comme: «Une intention bienveillante qui prend forme grâce au toucher, qui permet de détendre, rassurer, communiquer ou simplement procurer du bien-être, agréable à recevoir et, qui plus est à pratiquer» (Savatofski, 2018). Le massage-minute du dos sur habits ou à l’huile sur une chaise ergonomique ainsi que le massage-minute des pieds
ont été proposés. Le healing touch, quant à lui, est une thérapie de type énergétique «pratiquée en ayant à l’esprit l’intention de soutenir et de faciliter le bien-être physique et psychique» (Mentgen et Bulbrook, 2012). Il consiste en un déplacement des mains au-dessus de la personne à distance du corps ou en un toucher léger. Il permet la libération des tensions physiques et mentales et facilite ainsi la relaxation. Cette approche est appropriée pour les personnes qui n’aiment pas être touchées.

Les soignants ne donnent souvent pas la priorité au fait de prendre soin d’eux-mêmes.

Massages et normes sanitaires
Une infirmière spécialisée de l’équipe mobile antalgie qui a développé le toucher- massage aux HUG a été mandatée pour mettre en place cette intervention. Afin de faciliter l’accessibilité, une salle de l’ancien bloc opératoire proche du service des soins intensifs a été choisie pour la pause-détente et aménagée de manière chaleureuse. Le collaborateur pouvait choisir une huile de massage aux senteurs et propriétés variées. De la musique relaxante accompagnait le soin, dans le respect des mesures sanitaires (port du masque, lavage des mains). La durée de ces différents massages était de quinze à vingt minutes. Le choix des zones de massage correspondait au dos et aux pieds afin de limiter la proximité durant le soin. Une permanence a été proposée dans le service des soins intensifs en avril 2020, avec des horaires répartis de façon à permettre aux soignants travaillant de nuit de profiter également de l’offre. Puis, en raison de la forte affluence et des retours positifs des collaborateurs, cette nouvelle approche s’est poursuivie jusqu’à fin mai 2020. Les rendez-vous ont été pris par téléphone ou sur place, programmés toutes les trente minutes en tenant compte d’un temps de désinfection du matériel.

Une prestation très appréciée
Afin de documenter le ressenti des soignants et de mieux comprendre les bénéfices
éventuels de cette intervention, les commentaires spontanés des collaborateurs
ont été recueillis à l’issue des séances et les participants étaient invités à laisser un témoignage écrit (lire encadré ci-dessous).

Au printemps 2020, l’offre de pause détente s’est déroulée sur 21 jours. 245 soins ont été prodigués à 140 personnes, dont la majorité est venue une fois, alors que 34 personnes sont venues entre deux et neuf fois. Le massage le plus demandé correspondait au massage-minute du dos, huit pourcents ont demandé un massage des pieds et 5,5 pourcents ont souhaité un soin healing touch. Parmi les participants, la majorité était issue des soins infirmiers (42 pourcents) et de la filière aide-soignante (19 pourcents). Douze pourcents étaient issus de la filière médicale, huit pourcents étaient des pluriprofessionnels de soins (physiothérapeutes, personnel de la pharmacie), sept pourcents du personnel administratif et onze pourcents venaient de la filière propreté et hygiène. La majorité des demandeurs de soins étaient des femmes (84 pourcents), ce qui n’est cependant pas vraiment une surprise dans la mesure où la majorité des collaborateurs du département sont des collaboratrices.

Les 140 personnes qui ont recouru à cette pause-détente ont perçu l’attention particulière qui leur a été apportée, elles ont apprécié cette offre de soin en manifestant leur reconnaissance et leur gratitude.
Les valeurs relationnelles des HUG – confiance, respect, esprit d’équipe et reconnaissance – se reflétaient dans cette offre. Les dispositions de l’institution pour favoriser un environnement permettant de prendre soin de soi et de décompresser constituaient une aide pour que les équipes restent concentrées sur les soins et assurent la sécurité de leurs rôles (Adamas et Walls, 2020).

Le sentiment de bien-être et de détente dont ont fait part les collaborateurs était particulièrement bienvenu. En effet, les médecins et les infirmières des autres hôpitaux disposant de services dédiés à la prise en soins de cas de Covid-19 ont, eux, fait état de taux élevés de symptômes anxio-dépressifs, d’insomnie et de détresse.

Les effets bénéfiques des pratiques psychocorporelles en termes de diminution de l’intensité de symptômes physiques mais également psychologiques (anxiété, dépression), voire spirituels, ont déjà été documentés. Enfin, l’expérience du toucher-massage est liée pour certains soignants au recentrage sur soi et à une sensation de ressourcement. Il s’est également avéré que le massage était un bon complément à l’hypno-pause.

Ce soutien envers les collaborateurs du département leur a permis de se sentir reconnus dans un contexte difficile.

Prendre aussi soin de soi-même
Les témoignages reçus mettent en évidence les bénéfices du toucher-massage. En effet, les soignants ne donnent souvent pas la priorité au fait de prendre soin d’eux-mêmes, craignant de mettre la pression sur leurs collègues ou de laisser tomber l’équipe. Or, le soin des autres passe aussi par les soins apportés à soi-même. Cette attitude est étonnamment marginale chez les professionnels de la santé qui sont donc susceptibles d’avoir besoin des autres (collègues, amis, pairs) pour leur rappeler de penser à eux-mêmes (Maben et Bridges, 2020).
Le soutien pratique et psychologique aux infirmières et infirmiers est essentiel pour préserver leur santé à court et à long terme, en particulier lorsque le niveau de stress professionnel est élevé, comme ce fut le cas en cette première phase de pandémie. Garantir le bienêtre psychologique exige une réponse en plusieurs couches, avec différentes composantes à différents moments. Des stratégies qui visent la prévention mais aussi le traitement sont nécessaires avec des actions à différents niveaux allant
de l’organisation des réponses en équipe à celles qui visent le soin individuel et le soutien par les pairs. L’offre de toucher- massage semble être un des éléments de réponse au stress des professionnels dans un contexte de crise sanitaire. Des études sont nécessaires afin d’explorer et mesurer l’impact d’une telle intervention non  seulement sur les soignants mais également sur la qualité des soins dispensés aux patients par les soignants bénéficiaires.

Sentiment d’appartenance accru
En plus du bien-être apporté aux collaborateurs, cette offre a renforcé leur sentiment d’appartenance à l’institution. Cette forme de soutien envers tous les collaborateurs du département leur a permis de se sentir reconnus dans un contexte difficile. Nous pensons que la qualité des soins pourrait avoir été améliorée, car il semble que le fait de s’occuper de soi permettrait d’être plus disponible à l’autre. Nous recommandons
d’intégrer cette offre lors de situations majorant le stress des professionnels de la santé au sein des institutions de soins. Le défi sans précédent du Covid- 19  nécessitera également une stratégie souple de mise en oeuvre de cette offre, car les besoins et les exigences sont susceptibles d’évoluer au cours de la pandémie. Les conditions d’une pérennisation de cette offre mériteraient d’être étudiées.

ANALYSE DES COMMENTAIRES
Bonheur et gratitude
57 commentaires ont été recueillis à l’issue des séances et 32 témoignages écrits ont été laissés. Deux axes principaux s’en dégagent: d’une part, la gratitude et le sentiment de reconnaissance et, d’autre part, le bien-être.
La gratitude comprend selon Emmons (2007) deux conditions: il faut avoir conscience de vivre une expérience positive bienfaisante et reconnaître que cette expérience trouve sa source en dehors de soi. Les collaborateurs des HUG ont exprimé un  sentiment de reconnaissance:
• envers la compétence liée au soin, sous forme de remerciements mais aussi de  reconnaissance de l’expertise de la personne qui les massait: «j’ai pu bénéficier de vos
compétences», «…sous les mains d’une experte», «à travers ton professionnalisme », «vous avez des mains de fée», «des doigts d’or».
• envers l’institution: «on nous bichonne », «c’est super que l’on nous propose cela», «ça fait du bien qu’on prenne soin de nous après ces mois difficiles».
Le bien-être qui se manifeste dans les commentaires reflète souvent détente, ressourcement et sentiment d’évasion: «…libère le corps et l’esprit », «je me sens plus légère», «merci pour cette invitation à lâcher prise», «vos soins ont permis de faire
redescendre la pression en quelques minutes», «je me suis sentie plus productive
après une séance», «cela m’a permis de me recentrer», «le plein d’énergie est fait», «une pause hors du temps», «j’étais partie», «une parenthèse enchantée», «une bulle de
douceur», «un îlot de paix».

Une offre inédite :

La distanciation sociale et les contacts corporels limités incitent à se tourner vers les massages

Infirmière à l’unité mobile douleur, Monique Boegli s’intéresse également depuis longtemps au massage en tant que soin. C’est elle qui a développé le concept de toucher-massage au département de médecine aiguë des HUG et qui réalise les  massages.

Soins infirmiers: Était-ce la première fois que des massages étaient proposés dans un département des HUG?
Monique Boegli:
De telles prestations existaient déjà pour certains patients, mais pas pour des collaborateurs.

Quelle est votre expérience à ce sujet?
Je propose des séances de toucher massage depuis 2004. Je suis formatrice au centre de formation des HUG et j’ai formé certaines équipes au sein des HUG. J’ai aussi animé des formations pour les soins palliatifs à Yverdon et aux soins intensifs de Neuchâtel. Lors d’événements publics aux HUG nous proposons des ateliers de massage-minute afin de faire découvrir cet outil de détente et d’accompagnement.

La perspective d’un massage gratuit semble attirer.
Exactement. J’ai formé beaucoup de soignants au toucher-massage. Celui-ci peut être ainsi dispensé dans le quotidien des soins hospitaliers. Je fais régulièrement appel à des aides-soignantes pour qu’elles soient détachées lors d’événements particuliers pour offrir des massages.

Comment est venue l’idée de proposer des massages à vos collègues?
J’ai la chance d’être très soutenue par ma hiérarchie, qui m’a demandé durant la première vague de la pandémie si je n’avais pas envie d’employer mes compétences
de cette façon dans mon département. J’ai ensuite soumis un projet qui a été accepté par les ressources-humaines et les responsables du département.

Il est recommandé de restreindre les contacts, comment expliquez-vous que les gens optent pour des massages à l’huile et non pas sur habits?
Je pense justement que la distanciation sociale et le fait d’avoir des contacts corporels
limités incitent à se tourner vers les massages, notamment sur la peau.

Après une pause cet été, les massages ont-ils repris lors de la deuxième vague de la pandémie?
Oui, sur demande de l’adjointe au responsable des soins, ils ont repris début novembre
2020. Le concept est le même, mais les heures sont adaptées aux horaires où il y a le plus de soignants. Je reçois au maximum dix personnes par jour pour que ce soit  gérable pour moi sur le plan de la fatigue. La nouvelle a été extrêmement bien reçue par mes collègues, qui étaient aussi très heureux que les massages reprennent.

Cette prestation a-t-elle été étendue à d’autres départements?
Durant l’été, le service de conciergerie a proposé des massages sur habits qui étaient, eux, payants. Cette prestation est depuis peu gratuite jusqu’à la fin de l’année.

Cette offre va-t-elle se poursuivre au-delà de la pandémie?
Je ne sais pas exactement mais je pense que pérenniser cette offre serait une bonne idée.
Interview: Alexandra Breaud

Auteurs :

  • Monique Boegli, Infirmière spécialisée, équipe mobile douleur, Département de médecine aigue, HUG
  • Gora Da Rocha, Infirmière, MScSI, PhD, Infirmière spécialiste clinique SP, HUG, Professeure assistante HEdS
  • Miguel Ferreira, Responsable des Soins, Département de médecine aigue, HUG
  • Catherine Bollondi-Pauly, Infirmière spécialiste clinique antalgie-soins palliatifs, Pôle pratiques professionnelles, Direction des soins HUG